Notre prénom est l'une des choses à la fois les plus intimes et les plus publiques qui soient. Il est intime parce qu'il renvoie à un choix familial, à une histoire familiale, à une ou plusieurs sensibilités qui relèvent clairement de la sphère privée. En même temps il n'y a pas grand chose de plus public que notre prénom : c'est souvent notre visage vers les autres, que nous les connaissions bien ou pas du tout. Last but not least, notre prénom nous désigne alors que nous ne l'avons pas choisi, finissant cette sorte de paradoxe : à la fois tellement "nous" et pourtant en partie "étranger".
Inviter les membres d'un groupe à s'interroger et s'exprimer sur leur prénom, il y a dès lors là une belle opportunité de travailler leur rapport à eux-mêmes, à leur histoire et à leurs origines. Bref, il y a là une belle opportunité à travailler leur ancrage. Pour y contribuer, cette fiche part du pouvoir d'inspiration d'un slam composé par un slameur bruxellois, slam qui s'intitule précisément "Ne me demande pas mon nom".
L’animateur met en place les étapes suivantes :
1. Les participants écrivent leur prénom en grand sur une page en mode paysage. Ils complètent autant que possible cette page avec tous les mots et/ou dessins que leur prénom leur évoque.
2. Le groupe écoute et regarde le slam «Ne me demande pas mon nom» de Youness Mernissi sur Youtube. Si la technique ne le permet pas ou si l'animateur le désire, il peut également lire le texte (voir ci-dessous). Attention! Veillez à ne pas annoncer le prénom de l'auteur. Il est nécessaire à la "chute" du texte.
3. L’animateur invite alors les participants, à leur tour, de reprendre leur prénom, de compléter leur première page et ensuite de mettre en mots leur prénom. Il est important de préciser qu'ils ne seront pas obligés d'ensuite le partager. Ils ne partageront que s'ils le désirent et que ce qu'ils désirent.
4. Les participants peuvent utiliser n’importe quelle« forme » : slam, poésie, discours, lettre, etc. Ils peuvent même le faire sous forme de dessin s'ils le souhaitent.
Lorsque les textes sont terminés, l’animateur propose à ceux qui le désirent de partager le leur en grand groupe. Suite à chaque texte, il propose un moment de commentaires, en s’assurant toujours de commencer par les points positifs et en veillant au climat de bienveillance.
Cet exercice introspectif est extrêmement riche car il permet systématiquement de « remonter » le long de ses propres racines, de dégoupiller ce que nos parents ont projeté sur notre identité, de disserter sur la manière dont nos amis le voient, ou le dévoient...Cette production artistique est une manière de visiter ce qui fonde notre identité multiple. C’est aussi une mise en bouche intéressante pour lancer les participants dans un processus réflexif et une dynamique de groupe.
Dans cet exercice comme dans tous ceux qui touchent à nos identités et/ou nos racines, il arrive que la démarche confronte certains participants à leurs fragilités. Lorsqu’il sent une réaction de ce type, l’animateur veille à la sécurité émotionnelle des participants.
Ne me demande pas mon nom,
Il ne t'apportera rien.
Il ne porte en lui ni mes cris,
ni mes croix,
ni les crises qui m'écrasent.
Si j'écris, c'est que je crois
en ces lignes que je trace.
Tes moqueries me serrent l’âme
puis elles crissent dans mon crâne
puis elles me criblent et m'accablent.
Je me maquille...
mais ça se voit.
Ne me demande pas mon nom,
il t'induirait en erreur.
Par facilité, tu tenteras de m'appréhender à travers des clichés.
J'ai rien contre les clichés,
c'est juste qu'à un moment donné, faut pouvoir les développer,
dans le noir
ou le soir
ou même simplement en fermant les yeux
mais pas à la lumière du jour.
La photo sortirait toujours floue.
Ne me demande pas mon nom,
il n'est pas révélateur de ce que je suis,
je veux dire, de ce que je suis vraiment.
Tu m’identifieras comme appartenant à une frange de la population
et tu me jugeras sans y mettre de nuances, pour gagner du temps.
Tu me reprocheras à moi ce que les médias nous assènent,
les erreurs de mon peuple,
ses errements, son vécu,
l'image qu'il véhicule,
les fichus qu'elles portent,
nos mauvaises habitudes,
le sang trop chaud qui coule sous nos peaux trop mâtes.
Tu m'étonnes que ça me traumatise parce que ma peau à moi est juste trop blanche
mais tu nous mets quand même tous dans le même grand panier... Ikea.
On est en kit et interchangeable,
telle planche servira de porte et de table,
telle porte aura une clé et d'autres devront être défoncées
mais soit on s'ouvre, soit on la ferme.
Ne me demande pas mon nom
et même en le connaissant, tu ne saurais toujours pas ce que je pense au fond.
Je veux être une page blanche,
n'y mets même pas de marge, tu m'y catégoriserais,
ne me perfore pas,
le sang tâche et je ne serais plus vierge
et puis je préfère.
On a moins tendance à mettre des feuilles sans trous dans des classeurs.
Juste, écris surmoi,
sans à priori,
sans idées préconçues,
en m'écoutant, en me goûtant, en m’égouttant
mais n'invente pas.
N'invente pas !
en te fiant à mon patronyme.
Qu'on soit bien d'accord, j'en suis fier et pense pas que je le renie
mais si c'est pour en faire deux fois plus pour vous convaincre, j'en ai déjà des aigreurs à l’estomac.
J'ai pas fini.
Ne me demande pas mon nom...
ça m'ennuie !
C'est comme si je mettais mon cœur et mon corps à nu mais toi tu ne voyais que mon zizi circoncis.
C'est comme si je te parlais de respect, de tolérance,
c'est comme si je te parlais d'amour quoi !
mais que toi, toutes ces valeurs tu les imagines recouvertes d'une burka.
Je t'offre mon cœur
mais toi tu le refuses parce que t'aimes pas la boite.
Dès le début, tu considères que c'est toi labelle mais ça ne fait pas de moi la bête.
Moi, mes bottes font le bruit qu'elles doivent faire quel que soit le sol.
Je n'ai qu'une jambe.
On ne me prendra jamais à contre-pied.
Ne me demande pas mon nom
ou alors appelle-moi Roméo.
Qu'y a-t-il dans un nom ?
Ce que nous appelons une rose sous un autre nom sentirait aussi bon.
Il sent rien mon nom,
un nom propre ne sent rien.
Y'a juste la bouche qui le prononce qui sent pas bon parfois, à cause des idées préconçues qui fermentent et prennent de l'âge.
Même mon âge, je le dirais pas,
il est pas pertinent.
J'ai l'insouciance d'un enfant de sept ans,
je fais attention au regard des autres comme un adolescent,
je cherche l'amour comme un jeune adulte,
j'ai peur de la trentaine comme un mec de 29ans
et je crains la fin comme un sage,
j'ai juste pas d'âge.
Au fait, je m'appelle Youness.